Quatre heures du matin. Cela fait bientôt trois jours que je n'ai pas
dormi. Pourtant l'environnement est idéal : je suis seul, tout est fermé, il fait
noir, je suis convenablement installé... mais rien, pas la moindre trace d'une
annonce de la potentielle visite de ce foutu marchand de sable. Et cela depuis
trois longs jours. Pas moyen de fermer l'oeil et pourtant ce n'est pas faute d'avoir
essayé. Je suis seul. On ne peut plus seul... Plus d'ami, plus de famille, plus
de repères. Rien. Je suis au calme, personne ne me connaît plus donc je
ne risque pas d'être dérangé, idéal pour dormir, mais je suis là à fixer alternativement
le mur, le sol ou le plafond depuis des heures. Depuis l'accident et mon éveil
dans cette pièce étrange je n'ai jamais retrouvé le sommeil. Un mal de crâne lancinant
qui me vrille les neurones et m'empêche de trouver quelque forme de repos que
ce soit. Cela fait un moment que je suis sujet à des maux de tête, il parait que
c'est de famille, mais ces derniers temps ils se faisaient bien trop nombreux
pour être simplement un caprice de Dame nature. Pour l'instant tout ce dont j'arrive
à me rappeler c'est ce flash juste avant le réveil, mis à part ça, aucune trace
des derniers jours passés dehors. Mon souvenir le plus proche est assez anécdotique
: une journée tout ce qu'il y a de plus banal lorsque, comme moi, on est journaliste
d'investigation pour un canard à gros tirage. Pour être tout a fait honnête,
si je suis bien journaliste, je ne travaille pas que pour mon employeur car j'ai
omis un petit détail. Je ne suis pas exactement ce que l'on peut appeler un humain.
Habituellement, selon le folklore local, ce que je suis est désigné sous le terme
d'"ange noir".
Je me suis fait à ce nom bien qu'il ne corresponde pas
vraiment à ce que je suis réellement, car si je suis bien "noir" je suis loin
d'être un ange. Journaliste d'investigation est un bon job et une couverture idéale
pour mes activités : je peux disparaître quand bon me semble et pour la période
qui me plaît, pourvu que j'envoie de temps à autres quelques papiers au patron,
histoire de justifier ma paye. L'être que je suis est en apparence un humain comme
il y en a des tonnes sur terre et de mon statut d'ange noir je n'ai choisi de
ne rendre apparent que mon nom : Depaz. Depuis plusieurs mois je suis sur
une affaire étrange, officiellement comme officieusement, car pour une fois, ma
couverture et ma mission réelle se rejoignent. Les disparitions se multiplient
sans raisons aucunes autour de moi, m'isolant de plus en plus jusqu'à l'isolement
total, et cela n'est pas pour me plaire. Ici, les forces de l'ordre sont du genre
"conciliantes" avec le crime organisé et aucune aide n'est à attendre de ce coté
là. Dans ce cas, on se débrouille seul et avec les moyens du bord. Parmi les disparus,
on compte ma famille et mes amis (ce qui n'est pas follement original) mais plus
inquiétant, également mes contacts : d'autres anges et mes indics.
Le
point de rendez-vous de ce qui se fait de pire dans cette ville est un quartier
pourri près du port, dans le secteur des hangars. On y négocie toute sorte de
marchandises illégales sous la protection de la police et de corps spéciaux et
il n'y a pas mieux pour se fournir, quoiqu'on cherche. Toute bonne enquête (c’est
dire si elles sont rares) commence ici et de préférence plus que discrètement.
Malheureusement le contexte fait je n’ai pas vraiment la patience dont il convient
de faire preuve dans ce genre de situation et je fais dans l’expéditif, brutal,
qui tache. Les capacités particulières dont sont dotés les anges noirs me permettent
de me déplacer furtivement et d’expédier ma besogne relativement discrètement,
mis à part les inévitables petits désagréments liés à ce genre d’activité. Mes
contacts se sont montrés collaboratifs et je dois me rendre à l’évidence, ceux
qui m’en veulent ne sont pas du milieu, aucun n’avait idée de qui pouvait bien
être le responsable de ces disparitions. Mauvaise soirée, je me suis sali les
mains et je n’ai pas le moindre début de piste… mais elle ne fut pas vierge de
tout enseignement, je n’étais pas le seul à ne pas devoir me trouver là et à la
voir se déplacer cette personne est une pro. J’ai cru un instant qu’un de
mes congénères m’avait suivi, mais son profil est différent de celui des anges,
nous avons beaucoup de points communs mais elle ne répond pas aux ondes comme
le ferait tout ange. Outre ses capacités athlétiques ce qui a attiré mon attention
est son accoutrement plutôt étrange dans ces circonstances : costume noir bien
taillé, chemise d’un blanc immaculé et lunettes de soleil. Elle m’a suivi comme
mon ombre durant ma petite virée dans les bas-fonds de la ville même si elle ne
semble pas s’intéresser à moi, elle aussi est visiblement en mission. Absorbé
par mes basses œuvres je ne lui ai pas prêté autant d’attention que j’aurais voulu
mais elle semble être du « bon coté », le mien.
Le lendemain je retournais
sur place, rien à chercher en particulier si ce n’est mon « ombre ». J’étais dans
le flou le plus total concernant mon affaire alors autant satisfaire un peu ma
curiosité concernant cet étrange personnage si proche de ceux de ma race. Même
heure, même endroit, il est la. Enfin... elle est là. Si je l'ai remarqué c'est
qu'elle l'a bien voulue, je la regarde disparaitre parmi le dédale de batiments
emcombrant le port, rapide, silencieuse, mortellement efficace. Cependant quelque
chose ne va pas dans ce tableau... la sensation bizarre que...
Ca y’est
ce mal de tête me reprend, me clouant sur place…. resserrant lentement son étau
sur mon cerveau… Dès que j’essaie de me souvenir de ce qui a précédé le flash,
la douleur se fait plus violente. Le plafond et le sol ne font plus qu’un et mon
lit se dérobe constamment sous moi, décidemment ça ne va pas bien fort en ce moment.
Il me reste quelques images troubles pré-flash, la femme en noir est là contre
le mur prête à bondir, sa cible ne m’apparaît pas complètement mais il y a quelque
chose qui cloche, ses proportions son aberrantes... contre coup de « l’accident
» sur mon cerveau douloureux ou réminiscence d’une scène réelle ? Je ne saurais
dire... A partir de là, c’est le trou noir complet, si ce n’est une voix juste
avant le flash, peut être celle de cette femme... La voix est douce et claire
mais ce dont je crois me rappeler est assez étrange dans ce contexte : « essayez
de sourire »
Après, c’est le flash, puis plus rien, jusqu'à ce que je
me réveille ici: une pièce circulaire sans mobilier, si ce n’est mon lit et un
miroir au dessus d’un nécessaire de toilette. C’était il y a trois jours et depuis
pas une minute de sommeil à mon actif. Tiens, une délicate torpeur m’envahit...
aurais-je enfin droit au repos que je recherche depuis si longtemps ? Je n’ai
pas beaucoup de temps à consacrer à cette réflexion car le sommeil me rattrape
et je m’écroule.
C’est le bruit de la porte qui me sort de mon sommeil
de plomb.S’il était impossible de l’ouvrir de l’intérieur, manifestement il existe
un système extérieur et il vient d’être actionné. Je ne comprends pas bien ce
qui m’est dit au début mais je reconnais rapidement les deux uniformes : costume
noir/ chemise blanche/ lunettes, je suis en territoire ami A coté de moi se
trouve un costume semblable et prêt à l’emploi. Je discerne de plus en plus de
mots « tests », « MIB », « acceptation...nouvelle recrue..felictations...in black..»,«
il ne manque plus que les lunettes, l’agent… vous y conduiras »...
Si
je ne comprends encore que parcellement ce qui m’est dit, je reconnais un visage
et surtout cette voix : « essayez de sourire »