Il me semble que cela fait une éternité que je suis ici. Ici ? Je ne
saurais dire, c'est peut être là, ou même ailleurs. Depuis combien de temps
suis-je là, je ne sais. Tous les matins je me réveille sans souvenir de la veille,
peut être étais-je ici, peut être y serais je demain.
" Hier ", " demain
", étranges concepts, d'où peuvent-ils bien me venir ? Ce mots semblent m'être
familier et se référer à quelque chose qui m'est connu, mais quoi… Il n'y
a que " maintenant " ici, voire " plus tard ", mais l'horizon ne se fait guère
plus lointain, brisé par les frontières que me révèlent mes sens.
ICI,
c'est le seul nom que j'ai pu donner à l'endroit où je me trouve. J'ai essayé
de me l'approprier en lui cherchant une réelle identité ou but, mais seul ce nom
court et imprécis lui convient. De forme variable, ICI reste invariablement clos
et sombre, constant, la seule lumière qui filtre est juste la pour me faire prendre
conscience de mon environnement et l'absence d'échappatoire qu'il présente. ICI
verrouille même tout échappatoire par l'imaginaire, toute pensée est retenue par
cette enceinte lisse qui me sépare du reste. Le reste. Ailleurs. Ont-ils
seulement déjà existés ?
Nulle trace de geôlier, mais de porte à garder
il ne semble pas y avoir. L'endroit est clos, mais une clarté diffuse permet de
distinguer quelques éléments autour de moi. Peut être l'absence de toute source
lumineuse aurait-elle été préférable, ce que je perçois ne faisant que participer
un peu plus à mon oppression. Tout ce qui est visible n'est que limite. Le
noir complet m'aurait permis de croire que tout espoir n' est pas perdu, que je
n'ai pas encore tout exploré, qu'il existe un endroit offrant une quelconque possibilité
autre que la contemplation de la matérialisation du rien que représente ce lieu.
Rien. C'est le seul mot auquel je peux associer à là où je me trouve, avec " ici
". Aucun bruit, aucun mouvement, nulle trace de vie, même la plus infime.
Aucun espoir. Rien.
En supposant qu'ici aussi le temps s'écoule, cela
doit faire plusieurs jours que je suis retenu en ce lieu étrange contre mon gré.
Mais n'ayant aucun souvenir d' " avant " j'y suis peut être depuis le début, si
ce dernier à un jour existé. Sans souvenir, pas de passé conscient. Vu ma
situation actuelle pas de présent et, si rien n'évolue, mon avenir semble bien
parti pour n'avoir rien à envier à ce qui le précède. Si le temps passe il
ne semble avoir aucun effet sur moi. Je n'évolue pas. Pas le moindre signe extérieur
de changement. Bloqué ici pour toujours et depuis toujours ? Cette perspective
ne m'enchante guère. Mince consolation, demain, si celui-ci existe bien, je
n'aurais aucun souvenir de ces inquiétudes quant à mon statut. Mais elles reprendront
s'il s'agit d'un processus cyclique. J'explorerais à nouveau mon univers visible
à la recherche d'informations sur ma situation et les possibilités d'y échapper.
Sans fin.
Rien ne me retient physiquement ici, nulle chaîne pour me priver
de mes mouvements mais j'ai vite renoncé à délimiter mon univers. Parcourir ma
" cellule " en ligne droite jusqu'à ne plus avoir de force en espérant rencontrer
une paroi, ou ne serait ce qu'un obstacle, me permettant d'en délimiter le fond
ne m'a conduit nulle part, si ce n'est a revenir sur mes pas afin de retrouver
le seul endroit que je connais. Celui où je me trouve actuellement. Mais est
ce vraiment celui que j'ai quitté ? Rien n'est moins sûr. Mais cela a relativement
d'importance finalement. Si mon univers ne connaît pas de limite finie, il
est également vide. Enfin, je crois… Depuis quelques temps je commence
à douter.
Mes appels n'ont jamais reçus de réponse, ni même un écho, et
je n'ai jamais eu connaissance du moindre mouvement, éléments plaidant en faveur
de l'absence de tout compagnon d'infortune. Mais récemment la peur de ne pas être
seul ici s'est immiscée en moi. Rien n'a changé mais je me sens comme observé.
Toujours pas le moindre signe de vie où que j'aille mais mon sentiment de
sécurité a disparu. Au début j'ai prié pour avoir la preuve d'une autre présence
que la mienne mais désormais je la crains plus que tout. Si elle ne s'est
pas déclarée c'est qu'elle m'est hostile, telle les prédateurs guettant silencieusement
un moment de relâchement de leur proie. Pensée étrange qui revient sans cesse
bien que les occasions de me fondre dessus fussent légion et que jamais rien ne
ce soit passé. Etrange…